Un monopole ancré dans les habitudes des utilisateurs
Nadella a expliqué que la stratégie de Google repose sur des accords de distribution lucratifs et omniprésents, notamment via des partenariats avec des fabricants de matériel et des navigateurs. Ces partenariats permettent à Google de placer son moteur de recherche par défaut dans les systèmes d’exploitation, y compris Windows, capturant ainsi une part massive du marché. En conséquence, chaque requête effectuée sur Windows génère des revenus publicitaires pour Google, dépassant largement les revenus que Microsoft tire de son propre écosystème.
Le dirigeant a également évoqué la guerre des recherches entre Microsoft et Google. Nadella a admis qu'en dépit d'un avantage de distribution par rapport à Google avec Windows, Google continue de dominer le paysage de la recherche.
Il a également indiqué qu'il en allait de même pour l'IA, puisque Windows est un système ouvert. Les outils d'IA concurrents tels que Gemini, ChatGPT, Anthropic's Claude, et d'autres encore, ont les mêmes chances d'être découverts et adoptés par les utilisateurs de Windows, même si Microsoft dispose de son propre outil d'IA, Copilot.
Le défi de Microsoft face à Google Search
Microsoft, avec son moteur de recherche Bing, a longtemps tenté de concurrencer Google, mais avec un succès limité. Nadella a évoqué les difficultés pour Microsoft d’inverser cette tendance, même avec des investissements massifs dans des technologies innovantes, comme l’intégration de l’intelligence artificielle dans Bing grâce à OpenAI. Selon lui, les utilisateurs sont désormais enfermés dans un écosystème façonné par Google, où changer de moteur de recherche par défaut reste complexe et peu encouragé.
Début 2023, Microsoft a lancé une version du moteur de recherche Bing intégrant le chatbot d'IA ChatGPT afin de défier Google. Un mois plus tard, Bing a dépassé les 100 millions d'utilisateurs actifs quotidiens, selon Yusuf Mehdi, vice-président de Microsoft pour la vie moderne, la recherche et les appareils. Il a déclaré que la société était pleinement consciente qu'elle n'était encore qu'un « petit acteur avec une part de marché à un chiffre ». Toutefois, depuis que la grande enseigne de la technologie a publié la version « nouvelle génération » de Bing, même ceux qui ne l'ont pas utilisé dans le passé en font l'expérience pour leurs recherches : Mehdi a noté qu'un tiers des utilisateurs actifs quotidiens de Bing sont nouveaux sur le moteur de recherche.
« Nous voyons cet attrait du nouveau Bing comme une validation de notre point de vue selon lequel la recherche doit être réinventée et de la proposition de valeur unique de combiner Recherche + Réponses + Chat + Création en une seule expérience », a déclaré le vice-président.
En plus de voir une augmentation des chiffres, Microsoft connaît apparemment une croissance de l'engagement, avec plus de personnes effectuant plus de recherches. La société attribue deux facteurs à cette victoire particulière, le premier étant la croissance de l'utilisation d'Edge, probablement aidée par l'ajout de l'IA de chat de Bing en tant que nouvelle fonctionnalité. Elle a également déclaré que l'introduction de son modèle d'IA Prometheus a rendu les résultats de recherche de Bing plus pertinents, de sorte que les gens utilisent (ou du moins essaient) le moteur de recherche davantage.
Mais la joie a été de courte durée : un an plus tard, Microsoft avait gagné moins 1 % de part de marché depuis l'ajout de l'IA. Les données de Sensor Tower, compilées par Bloomberg, ont révélé que les efforts de Microsoft en matière d'IA n'ont pas érodé de manière significative la part de marché de Google dans le domaine de la recherche. Les données de la société d'analyse de données Statcounter révèlent également que le moteur de recherche de Microsoft a terminé l'année 2023 avec seulement une part de 3,4 % du marché mondial de la recherche, soit une augmentation de moins d'un point de pourcentage depuis l'arrivée de Bing Chat. Bing semble stagner.
Une tentative de rapprochement avec Apple
D'après les documents déposés par Google après le procès antitrust intenté par le ministère américain de la Justice contre Microsoft, il ressort que, en 2018, Microsoft a suggéré à Apple une proposition importante : soit vendre Bing à Apple, soit établir une coentreprise liée à Bing.
En 2020, alors que le ministère de la Justice (DOJ) examinait l'accord sur Safari dans le cadre d'une enquête antitrust, Microsoft a persisté dans ses efforts pour convaincre Apple de substituer Bing à Google en tant que moteur de recherche par défaut sur Safari. L'objectif était d'investir des milliards pour obtenir le contrôle de la recherche par défaut, avec l'espoir que cela renforcerait les performances de Bing et accroîtrait sa part de marché de 5 %. Toutefois, Google a vigoureusement défendu son statut par défaut, exprimant des inquiétudes quant à la perte potentielle de milliards, bien que le montant exact ait été occulté dans les documents du ministère de la Justice.
En fin de compte, Microsoft s'est trouvé dans l'incapacité de surpasser Google, en partie en raison de certains aspects du moteur de recherche de Google qui sont élaborés sur une période de 13 mois de données, un volume que Bing mettrait plus de 17 ans à accumuler, selon les documents déposés par le ministère de la Justice.
En parallèle, Apple a abandonné ses propres initiatives visant à lancer un moteur de recherche concurrent, reconnaissant que cela nécessiterait des investissements à long terme sur plusieurs années. Pour Apple, maintenir l'accord sur Safari et continuer à percevoir des milliards de Google était manifestement la solution évidente.
Le ministère de la Justice a avancé l'argument selon lequel l'accord évalué à 26 milliards de dollars entre Google et Apple en 2021 a contribué à ériger une « digue autour du monopole de Google », entravant toute entrée significative de nouveaux concurrents sur le marché de la recherche générale. Selon le ministère de la Justice, ce prétendu monopole a dissuadé Google d'améliorer la qualité de ses recherches, ne le faisant que lorsque des concurrents tels que Bing commençaient à gagner du terrain. Cela implique que, selon le ministère de la Justice, Google peut se permettre de maintenir des résultats de recherche plus lents et moins précis pendant des années sans perdre sa position dominante sur le marché.
Analyse critique des déclarations du PDG de Microsoft
Si les déclarations de Satya Nadella attirent l’attention sur les pratiques de Google, elles peuvent également être perçues comme une tentative de détourner l'attention des propres défis de Microsoft. En effet, Microsoft, malgré ses ressources colossales, n’a jamais réussi à s’imposer véritablement dans le domaine des moteurs de recherche, un marché dominé par Google depuis deux décennies. La question se pose alors : est-ce que le problème réside uniquement dans les pratiques de Google, ou est-ce que Microsoft a échoué à proposer une alternative suffisamment convaincante pour séduire les utilisateurs ?
L'échec de Bing : une responsabilité partagée
Même avant la domination actuelle de Google, Microsoft peinait à imposer Bing comme une option crédible face à Google Search. Bien que Microsoft ait intégré des fonctionnalités de pointe, notamment grâce à l’IA avec OpenAI, l’expérience utilisateur et la perception publique de Bing restent en retrait par rapport à son concurrent. Les critiques reprochent souvent à Bing une pertinence moindre des résultats de recherche et une interface moins intuitive, des éléments clés dans la fidélisation des utilisateurs.
Le rôle de Microsoft dans l’écosystème Windows
Par ailleurs, il est intéressant de noter que Microsoft a historiquement utilisé des stratégies similaires à celles qu’il critique aujourd’hui. À l’époque de sa domination sur les systèmes d’exploitation, Microsoft a été accusé d’avoir imposé Internet Explorer comme navigateur par défaut, limitant ainsi la concurrence sur le marché des navigateurs web. Ces pratiques ont elles-mêmes donné lieu à des poursuites antitrust, notamment dans les années 1990. Aujourd’hui, Windows reste une plateforme dominante, et Microsoft pourrait sans doute faire davantage pour promouvoir Bing auprès de ses utilisateurs, plutôt que de critiquer exclusivement les accords de distribution de Google.
Un plaidoyer qui masque les enjeux internes ?
Enfin, les propos de Nadella pourraient également servir à justifier l’écart grandissant entre Google et Microsoft dans le secteur des revenus publicitaires. En pointant du doigt la domination de Google, Microsoft semble chercher à renforcer son argumentaire auprès des régulateurs plutôt que de se concentrer sur une stratégie commerciale et technologique plus agressive. Si la position dominante de Google est indéniable, il est également clair que Microsoft pourrait mieux exploiter sa propre infrastructure et ses ressources pour tenter de combler l’écart.
En somme, la critique de Nadella, bien qu’elle mette en lumière des problèmes réels de concentration du marché, pourrait être perçue comme un aveu de faiblesse. Une approche plus proactive et centrée sur l’amélioration de Bing et de ses services associés pourrait permettre à Microsoft de reprendre l’avantage sans s’appuyer uniquement sur les régulateurs pour rééquilibrer le marché.
Source : vidéo dans le texte
Et vous ?
Quelle lecture faites-vous de l'argumentation du PDG de Microsoft ? Y a-t-il un parallèle à faire entre les critiques actuelles contre Google et les pratiques historiques de Microsoft, notamment avec Internet Explorer ?
Windows étant une plateforme extrêmement utilisée, Microsoft aurait-il pu ou dû exploiter sa position pour mieux promouvoir Bing ?
La domination de Google est-elle uniquement le résultat de pratiques anticoncurrentielles, ou reflète-t-elle une préférence naturelle des utilisateurs pour un produit perçu comme meilleur ?
L’intégration de technologies comme l’intelligence artificielle peut-elle réellement changer la donne et réduire l’écart entre Bing et Google ?
Les accords de distribution de Google constituent-ils une entrave à la concurrence, ou sont-ils simplement le fruit d'une stratégie commerciale légitime ?
Les utilisateurs sont-ils suffisamment informés et encouragés à modifier leurs choix par défaut (moteur de recherche, navigateur, etc.) sur leurs appareils ?